Synthèse de l’apéro du 13 juin, avec 3 expertes du vélo
« Le vélo est encore trop associé à une pratique sportive et compétitive, et pas assez à un mode du déplacement du quotidien »
Pour clôturer notre thématique Vélo, Femmes en Mouvement avait invité 3 expertes pour l’apéro du 13 juin : Catherine PILON, Secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables, Charlotte GUTH, Cheffe de la Missions Vélo à la Direction de la Voirie et des Déplacements, Ville de Paris et Manon ESKENAZI, Chargée de recherche au Laboratoire Ville Mobilité Transport.
Ingénieure de formation, Charlotte Guth a travaillé 8 ans dans la maîtrise d’ouvrage d’aménagements publics au sein du groupe Setec, avant d’intégrer la direction de la Voirie et des Déplacements de la Ville de Paris. Comme cheffe de la Mission Aménagements Cyclables, elle s’est occupée de piloter la mise en œuvre des pistes cyclables du Plan Vélo 2015-2020. En 2021, ses missions s’élargissent puisqu’elle devient Cheffe de la Mission Vélo. A la tête d’une équipe d’une vingtaine de personnes, elle a également pris en charge le suivi budgétaire du Plan Vélo et la maîtrise d’ouvrage de la réalisation des pistes cyclables.
Après des études de droit et d’urbanisme, Catherine Pilon s’est pris de passion pour les politiques territoriales. Elle a travaillé dans le réseau des chambres des métiers et de l’artisanat et dans plusieurs ministères (Ville, Aménagement du territoire) où elle a conduit des projets de politique de la ville, de prévention des discriminations et des travaux de prospective sur le vieillissement de la population. En parallèle, elle a été élue entre 2002 et 2020 à Montreuil (93) où elle a été en charge successivement de l’emploi et du développement économique, d’éducation et des transports. Elle s’est beaucoup impliquée pour développer le vélo dans la ville, puis a pris la direction de l’association Club des villes et territoires cyclables et marchables il y a 2 ans.
Après une licence en sciences-politiques, Manon Eskenazi s’est intéressée à l’urbanisme et à l’aménagement. Elle a poursuivi par un mémoire sur la place des piétons à Paris, puis a obtenu un doctorat en aménagement de l'espace et urbanisme sur les interactions entre la mise en œuvre de politiques cyclables et le développement de pratiques dans deux métropoles européennes (Lyon et Hambourg). Elle est actuellement chercheuse post-doctorante au Laboratoire Ville Mobilité Transport (LVMT). Ses recherches portent sur les politiques de mobilité et les innovations sociotechniques.
Pour poser le cadre de la discussion, elles ont donné leur définition d’une ville apaisée :
Pour Charlotte Guth, « c’est une ville où la voiture a pris sa juste place » et « où le volume sonore est abaissé ». Pour Catherine Pilon, « c’est une ville pour tout le monde, enfants et personnes âgées inclus », « une ville qui a reconquis l’espace confisqué par la voiture et qui l’a redistribué autrement, avec moins de vitesse, de bruit et de dangers, afin de mieux vivre ensemble ». Elle a évoqué la campagne lancée par le Club des villes et territoires cyclables et l’association Rue de l’Avenir qui invite les collectivités à signer un manifeste en 10 mesures. Enfin, pour Manon Eskenazi, une ville apaisée est « une ville où la vitesse est abaissée, et où les relations sociales sont apaisées, avec une moindre densité de voitures, afin de retrouver de vrais espaces publics, pour les femmes notamment ».
Concernant le vélo, toutes les trois s’accordent à dire que les aménagements sécurisés ont permis de développer la pratique du vélo, notamment celle des femmes. Cependant, en France métropolitaine, l’enquête mobilité des personnes de 2019 montre que la parité est loin d’être acquise concernant la pratique du vélo pour les déplacements locaux : les femmes marchent plus que les hommes (26% contre 22% des déplacements) mais font moins de vélo que les hommes, seulement 1,5% pour les femmes, contre 4% pour les hommes.
Le rôle des associations de vélo a été souligné. Plus structurées que les associations de marche, elles ont été forces de proposition auprès des pouvoirs publics. Elles ont joué un rôle très actif dans le développement et la promotion du vélo dès les années 80-90. « Notre objectif est que le vélo acquiert sa place en ville, afin d’augmenter le nombre de cyclistes. Place qui n’est pas automatique, contrairement aux trottoirs par exemple » observe Catherine Pilon.
Charlotte Guth a indiqué que le genre n’était pas intégré à proprement parler dans les réflexions menées par la Ville de Paris dans les aménagements de pistes cyclables. « Notre objectif est d’offrir la possibilité à tout le monde de faire du vélo, en sécurité ». Différentes études ont montré que c’était bien la sécurisation des aménagements qui développe la pratique du vélo, notamment chez les femmes. « En 2015, 30% des cyclistes étaient des femmes, en 2020, 40%, ce qui est encourageant » note-t-elle.
Mais au-delà des aménagements cyclables, très importants pour développer la pratique du vélo, notamment celle des femmes, d’autres éléments doivent être travaillés : les connexions et les intersections, l’abaissement de la vitesse en ville, et surtout la représentation sociale du vélo. « Le vélo est encore trop associé à une pratique sportive et compétitive, voire acrobatique et pas assez à un mode du déplacement du quotidien » regrette Catherine Pilon. « Il faudrait une représentation plus neutre du vélo ».
Catherine Pilon a rappelé le rôle très important joué par les vélo-écoles, notamment auprès des femmes des quartiers populaires, et l’importance de généraliser l’apprentissage du vélo à tous les enfants dès l’école primaire. « Ces dispositifs sont très utiles pour développer le vélo comme outil d’autonomie pour les jeunes filles et les femmes ».
En revanche, nos trois invitées estiment qu’on ne peut pas non plus « tout demander au vélo ». « L’apport du vélo en termes de santé, d’environnement, de pouvoir d’achat, etc. est indiscutable, estime Catherine Pilon, mais de là, à le considérer comme l’outil de conquête d’égalité femmes/hommes, il y a un pas ». En revanche, il est certain que le vélo peut faciliter la vie quotidienne des femmes. « Le vélo ne change pas leur charge mentale, mais peut-être un sas de respiration, un moment à elles, ou un outil d’émancipation, d’autonomie » estime Manon Eskenazi.
Le problème du stationnement des vélos a également été évoqué. Charlotte Guth a rappelé que la ville de Paris ne pouvait pas régler ce problème toute seule : « c’est un enjeu qui doit être pris en charge par plusieurs acteurs : les entreprises, les universités, les copropriétés, etc. « Depuis 2015, 30 000 places ou cerceaux de vélo ont été aménagées dans Paris, mais cela est loin d’être suffisant » reconnaît-elle.
Le code de la rue en cours d’élaboration à Paris a également été évoqué. Il vise une meilleure cohabitation entre tous, piétons, cyclistes, automobilistes. “Les femmes sont globalement plus prudentes et plus respectueuses du code de la route”, a souligné Manon Eskenazi, en se basant sur des études qualitatives qu’elle a pu mener lors de ses recherches.