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Apéro d'octobre Espace public #1 avec Edith Maruéjouls

« L’inégale liberté entre les filles et les garçons commence dès la cour de récréation »

Pour son Apéro de rentrée et l’ouverture de la première thématique trimestrielle consacrée à l’espace public, Femmes en Mouvement avait invité Edith Maruéjouls. Une rencontre stimulante et passionnante, qui a soulevé de nombreuses questions de la part des participantes .

Édith Maruéjouls, titulaire d’un DEA de sociologie et docteure en géographie française, est spécialiste de la géographie du genre. Après plusieurs années dans la fonction publique territoriale, elle a créé en 2014, le bureau d’études L’ARObE (Atelier recherche observatoire égalité) spécialisé sur les questions d’égalité et des relations femmes/hommes dans l’espace public, la cour d’école et les loisirs des jeunes.  Dans la lignée des féministes scientifiques, Edith s’intéresse tout particulièrement aux notions de mixité, d’égalité et de liberté.  

Faire je(u) égal

Edith a présenté les conclusions de son livre Faire je(u) égal qui vient de paraître, fruit de 12 années d’observation sur le terrain. Son hypothèse de travail est que l’absence de relations filles/garçons et l’inégalité de l’occupation de l’espace public dès l’école produit des inégalités durables et des violences à l’œuvre dans la société et le monde du travail

Dans ses recherches, elle met en avant l’inégal partage de l’espace de récréation : les garçons ont tendance à monopoliser l’espace central, souvent occupé par un terrain de foot, tandis que les filles sont reléguées sur les côtés, les bords. Les filles ont moins de place pour jouer, elles ne vont pas pouvoir jouer à ce qu’elles veulent, parce qu’elles sont des filles. Elle souligne également l’inégale valeur attribuée aux jeux de filles tandis que les loisirs des garçons sont légitimités et valorisés. 

« Ces mécanismes de ségrégation, de non-mixité, de hiérarchisation, d’homophobie qui s’installent dès l’école s’inscrivent ensuite au collège, puis dans l’espace public et professionnel, avec par exemple les métiers dits de femmes et ceux dits des hommes » souligne-t-elle. 

80% des espaces récréatifs occupés par 10% d’élèves

« Il y a en France une égalité de droit, inscrite de façon forte dans la loi, mais dans la réalité, beaucoup d’inégalités et de violences envers les femmes et le corps des femmes. De la notion de droit, on n’arrive pas à la notion de liberté. On oublie qu’entre « avoir le droit de » (égalité) et « vouloir » (liberté) se cache la notion de pouvoir. Le groupe social des filles va être dans une moindre liberté, mais aussi les plus petits, les moins sachants, et les garçons qui ne sont pas identifiés comme répondant aux normes viriles. Les filles, contraintes dans leur mobilité, vont développer des stratégies utilitaires ou des stratégies de bord pour se déplacer dans la cour de récréation, alors que les garçons se déplacent et occupent tout l’espace. Elle a observé que 80% des espaces récréatifs sont occupés par 10% des élèves, en grande majorité des garçons. 

Selon Edith, cet empêchement vient de la structuration d’un système et de la question de la persistance des assignations de genre. La société distingue, classifie et par là crée la ségrégation et assoit une hiérarchie. « Les stéréotypes de genre et le sexisme sont présents très tôt ». Dès la naissance, on crée une distinction entre les bébés filles et les bébés garçons par le vêtement, les couleurs, les verbatims que l’on peut trouver écrits sur les body, avec d’un côté la beauté, l’élégance, le champ lexical du corps (et du décor) et de l’autre la force, le courage, etc. Et cela dure très longtemps. 

Ce qui appartient au groupe social des filles est à inégale valeur avec celui des garçons. Il ne fait ni valeur ni sujet en termes d’organisation de l’espace. « Pourtant dessiner, prendre soin des plus petits, danser, jouer à l’élastique a autant de valeur que de jouer au foot » expose Edith. Cette non-mixité se retrouve également dans les sports ou dans les écoles de musique. Selon elle, une catégorie pertinente pour organiser l’espace serait « petits » ou « grands ».  

Importance du vivre ensemble

Dans les expérimentations qu’elle mène dans des écoles, Edith cherche à rétablir la notion de partage et les relations filles/garçons, en répondant à ces deux questions « Qui choisit le jeu » et « Qui peut jouer ». Cela passe par la redistribution des espaces, en instaurant des lieux calmes ou intermédiaires et en ne prescrivant pas trop les usages. « Arrêtons, par exemple, de dessiner des terrains de foot au centre de la cour, conseille-t-elle. Expérimentons des mobilités, des possibles pour que les filles trouvent leur place et pour que les garçons se sentent autorisés à être perméables au monde des filles. C’est ainsi que l’on crée de la mobilité, une égale liberté de mouvement et que l’on favorise les relations filles/garçons ». Il est important de rire ensemble, de parler ensemble, de manger ensemble, de jouer ensemble. « Quand on rééquilibre les usages, tous les enfants s’amusent. On entend plus de rires dans la cour et les adultes notent moins de conflits ou de punitions à donner ». 

Pour Edith, il est donc important d’apprendre aux enfants à partager l’espace dès l’école, parce que la mixité et le vivre ensemble s’apprennent dès le plus jeune âge. « L’école est le seul endroit, avec les fratries, où il existe pendant 9 ans une parité captive. D’où l’importance de favoriser les relations mixtes. L’école peut être un outil de changement et non de reproduction des inégalités et des stéréotypes ». 

Enfin, Edith a évoqué un autre de ses chevaux de bataille : la mise en place de toilettes mixtes à l’école et au collège. Selon elle, la non-mixité des toilettes ne résout ni les problèmes d’hygiène ni les problèmes de harcèlement (entre filles et entre garçons). C’est un lieu d’impunité et de non-droit car non visible par les adultes. « Je pense qu’il faut apprendre aux enfants à vivre ensemble, même aux toilettes. Pour dépasser la question du genre aux toilettes, une répartition en fonction de l’âge me paraît là encore beaucoup plus pertinente : les petits d’un côté, les grands de l’autre ». 

Aller plus loin 

Groupe https://makespaceforgirls.co.uk/ : initiative anglaise pour créer des espaces pour les adolescentes trop souvent absentes de l’espace public. 

Faire je(u) égal, penser les espaces à l’école pour inclure tous les enfants, éditions Double Ponctuation, 16 euros

Edith Maruéjouls a fait partie du jeu des 7 familles de Femmes en Mouvement (famille Espaces publics)

 
 
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