La mobilité des femmes en Martinique

Lorsque nous parlons de la mobilité des femmes en France, nous distinguons souvent le milieu urbain du milieu rural.  Pour autant, nous oublions d’évoquer la mobilité des femmes en milieu insulaire. Cette note permet de décentrer une vision strictement hexagonale en interrogeant la mobilité dans un département d’outre-mer.

Cas de la Martinique : Monoparentalité et précarité 

La Martinique, territoire de 1128 km2 situé au cœur de l’espace caribéen, connaît des particularités socio-économiques par rapport à l’Hexagone. En effet, l’INSEE déclare qu’en 2017, 29 % de la population martiniquaise vit sous le seuil de pauvreté contre seulement 14% pour la France hexagonale. Les jeunes et les familles monoparentales sont particulièrement touchés. (source 1)

 En outre, la monoparentalité est un fait social massif aux Antilles : les familles monoparentales représentent plus de la moitié des ménages avec enfants à la Martinique, et ces foyers monoparentaux sont dirigés à 89% par des femmes. (source 2)

 44% de ces foyers sont donc monoparentaux féminins et plus enclins à faire face à la précarité.

Parallèlement, le rapport informatif du Sénat « Sur les femmes et l'automobile : un enjeu de lutte contre la précarité, d'orientation professionnelle et de déconstruction des stéréotypes » (source 3) indique que les difficultés de mobilité concernent plus particulièrement les femmes et sont étroitement liées à précarité et l’isolement.

Dépendance à la voiture et coût de l’automobile dans un ménage martiniquais 

Dans ce rapport, l'économiste Chantal Duchène pour le Forum International des Transports constate que « compte tenu de la complexité de leurs chaînes de déplacements, et du fait qu'elles effectuent plus de déplacements, [les femmes] sont plus dépendantes de la voiture ».

En effet, les femmes (et encore plus souvent celles en situation de monoparentalité) vont devoir accompagner les enfants à l'école, faire les courses, se rendre à des rendez-vous médicaux ou administratifs, etc.

Cependant, pour des raisons de coûts (d’acquisition et d’entretien d’un véhicule), la possession d’un véhicule individuel par les foyers monoparentaux féminins précaires semble difficile. De plus, l’Observatoire des prix de Martinique évalue que le budget annuel pour un véhicule peut être de 1.158€ à 1.962€ plus élevé qu'en France hexagonale (soit un écart entre 28% et 46%) (Source 4)

Comment alors effectuer les trajets essentiels permettant l’accès aux soins, aux droits, à l’emploi, l’alimentation, la scolarité et la culture ?

Des alternatives à la voiture limitées en Martinique

●       Le vélo : un moyen de transport inexistant

Très prisé dans l’hexagone, le vélo apparaît inadapté au relief montagneux de la Martinique, combiné aux contraintes de sécurité routière qui rendent sa pratique particulièrement dangereuse.

Notons cependant que des initiatives sont présentes sur d’autres territoires ultra-marins, comme à Marie-Galante (dépendance de la Guadeloupe) où le relief plus plat encourage un effort collectif vers un schéma cyclable. (source 5)

●       Les transports collectifs : usages et limites 

Le bus semble être à première vue le mode de transport à privilégier. Des réseaux de bus sont en place dans les 3 communautés d'agglomération de la Martinique : le réseau « Mozaïk » de la CACEM (C.A du centre), le réseau « SudLIB » du sud pour l’Espace Sud, et le « Réseau unifié du nord » pour le CAP Nord.

L’ensemble de ces réseaux sont régis par l’AOT [1]Martinique Transport (source 6).

Pour autant, ces différents réseaux de bus sont marqués par des limites importantes : leurs services, horaires et dessertes sont peu fiables. Les retards peuvent aller parfois jusqu'à plusieurs heures, et la récurrence de grèves fragilise la confiance accordable à ce mode de déplacement.

Les propos recueillis auprès de martiniquaises pour ce papier évoquent qu’il est nécessaire de prévoir plusieurs heures d’avance pour se rendre à un rendez-vous médical, administratif ou à un entretien d’embauche ; surtout en cas de correspondance sur les lignes.

Par ailleurs, emprunter le bus expose aussi à des risques de sécurité. Plusieurs arrêts de bus sont situés à proximité de ronds-points sur routes où la vitesse est limitée à 90 km/h dans le sud de l’île. Sur l’ensemble du territoire, les infrastructures routières sont défaillantes pour les piétons, les trottoirs étant rares.

Arrêt de bus « Les patios nord » dans la communauté d’agglomérations du Sud de la Martinique. DR

Être femme dans l’espace public

A cela s’ajoute le sentiment d’insécurité que de nombreuses femmes peuvent ressentir dans l’espace public, où la domination masculine persiste.

Le rapport du CESECEM[2] sur la « Place des femmes dans l’espace public en Martinique »  (source 7) rappelle que les femmes sont 2,5 x plus interpellées ou sifflées sous un prétexte de drague que dans l’hexagone. Détaillant les usages genrés de l’espace public, il nous permet de contextualiser ce qu’implique la simple attente à l'abri-bus.

La situation précaire des femmes en situation de monoparentalité en Martinique, associée au peu d’alternatives possibles à la voiture individuelle rendent difficile leur mobilité, tendant ainsi à un plus fort isolement social et un accès plus limité aux droits.

Nous émettons l’hypothèse que le développement des réseaux de bus comprenant sa fiabilisation, son élargissement et l’augmentation de la fréquence permettrait la mobilité des femmes et ainsi permettre une meilleure insertion dans la société.

Salomé Minnebois

Salomé Minnebois, adhérente Femmes en Mouvement

Sources 

Source 1 : Statistique Insee Pauvreté et niveau de vie : 29% des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté - 01/07/2020

https://www.insee.fr/fr/statistiques/4622691

Source 2 : conférence sur la précarité des femmes en Martinique - 8 mars 2022, chiffres introductifs

https://www.martinique.franceantilles.fr/actualite/societe/suivez-en-direct-la-conference-sur-la-precarite-des-femmes-a-la-martinique-183387.php

Source 3 : Sur les femmes et l'automobile : un enjeu de lutte contre la précarité, d'orientation professionnelle et de déconstruction des stéréotypes

https://www.senat.fr/rap/r15-835/r15-8355.html#toc266

Source 4 : La voiture est particulièrement budgétivore en Martinique - 20 mai 2015

https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/2015/05/20/la-voiture-est-particulierement-budgetivore-en-martinique-257519.html

Source 5 : Schéma directeur cyclable à Marie-Galante

https://documentsmarches.francemobilites.fr/Documents/23475494 & https://www.ot-mariegalante.com/marie-galante-%C3%A0-v%C3%A9lo

Source 6 : site martinique transport

https://www.martiniquetransport.mq/decouvrez-martinique-transport/

Source 7 : Rapport sur la place des femmes dans l’espace public en martinique, publié en novembre 2020, construit sur les enquêtes VIRAGE (INED) et DRDFE (Nadia CHONVILLE)

https://www.cesecem.mq/cpt_actions/place-des-femmes-dans-lespace-public-en-martinique/

[1] Autorité Organisatrice de Transport

[2] Conseil Économique, Social, Environnemental, de la Culture et de l'Éducation de Martinique

Précédent
Précédent

Lancement réussi pour notre nouvelle antenne à Marseille !

Suivant
Suivant

Synthèse de l’apéro avec Sarah Tayebi et Agnès Jolivet Chauveau