Synthèse de l’apéro avec Sarah Tayebi et Agnès Jolivet Chauveau

"Comment améliorer la “marchabilité” et l’expérience du piéton dans l’espace public ?", voici la thématique qui avait été retenue pour cette nouvelle rencontre lyonnaise, le jeudi 16 mars 2023. 

Cette problématique a été abordée sous l’angle des usages et de la participation citoyenne grâce aux outils et aux méthodes utilisés par nos deux invitées, Sarah Tayebi et Agnès Jolivet Chauveau (cf. photo ci-dessus, avec Fabienne Bardin). Elles ont fondé en 2017, La Formidable Armada, une agence de design d'usages qui s'intéresse à la ville de demain, avec comme outils, la créativité et l'innovation.

C’est en tant qu’enseignantes dans un centre de formation en arts appliqués que le binôme Sarah Tayebi et Agnès Jolivet Chauveau se rencontrent en 2009. Sarah exerce en parallèle en tant que designer indépendante, Agnès occupera rapidement la fonction de responsable pédagogique de la section arts appliqués.
En 2017, elles décident de construire ensemble un projet entrepreneurial, avec l’envie de contribuer à la fabrique de la ville en apportant le regard, la méthodologie et la créativité du designer. Cela fait maintenant 5 ans que les deux associées développent et explorent de nouvelles manières de “faire la ville”, avec la Formidable Armada, aux côtés de nombreux partenaires institutionnels et privés (collectivités locales, promoteurs, etc.). La mobilité fait partie de leurs domaines d’exploration. 

Depuis quelques années, dans les projets immobiliers et urbains, la parole est de plus en plus donnée à l’utilisateur final : l’habitant, l’usager, le riverain, le commerçant. « La parole des usagers est venue dans le cahier des charges » résume Sarah. Cette prise en compte des attentes et besoins des usagers s’appelle « l’assistance à maîtrise d’usage » (AMU). Et c’est l’une des missions de la Formidable Armada.

Leur méthodologie ? Aller à la rencontre des usagers, des habitants, en arpentant (à pied !) le quartier concerné par le projet immobilier ou urbain (construction, réaménagement, réhabilitation, etc.). « Notre approche est complémentaire de celle du promoteur, qui lui a une vision financière et technique. Nous avons une approche plus sensible qui alimente le projet » résume Agnès. L’objectif est d’observer les usages et de recueillir la parole des personnes concernées par cet espace public, que ce soit sur des marchés, une place fréquentée, devant un collège, etc. « Cela nous permet de toucher des personnes qui ne viendraient pas à des concertations de quartier classiques : parents débordés, personnes âgées ou timides, etc. ». Ces histoires, ces verbatim nourrissent et complètent leur diagnostic d’usage. « Souvent, cela permet de faire émerger des enjeux pas forcément identifiés au départ ou de faire évoluer sensiblement les sujets que l’on nous avait demandé d’étudier » constatent-elles.

« Notre approche plus sensible est complémentaire de la vision financière et technique du promoteur. Cela nourrit le projet  »
— Agnès et Sarah, La Formidable Armada

Pendant cette phase, les deux femmes recueillent « des données qualitatives et subjectives ». Mais elles assument ce parti pris !

A l’issue de cette phase de terrain, des problématiques sont identifiées puis discutées lors d’ateliers de créativité.

En atelier, elles racontent des histoires en mettant en scène des archétypes (des « persona ») et utilisent beaucoup d’outils créatifs (leur formation en graphisme et design leur est précieuse) : cartes, jeu de plateaux.

« L’idée est de faire dialoguer les gens, avec empathie et bienveillance, afin qu’ils dépassent leur intérêt particulier pour trouver des solutions ensemble ». Parfois les débats sont vifs (piétonisation d’une zone, suppression d’un parking, etc), mais elles cherchent à créer un cadre apaisé pour favoriser les échanges. Elles utilisent des brise-glaces « pour casser les rapports de force afin que tout le monde puisse exprimer son point de vue et ne pas invisibiliser les personnes les plus fragiles ou timides ». Par exemple, si la mobilité fait partie des sujets à traiter, elles font travailler les participants sur des parcours différents et sur les problématiques rencontrées lors de ces trajets, notamment pour les piétons. « Et ne pas oublier que si on élargit un trottoir pour 5% des personnes, cela améliore le confort de tous » rappellent-elles.

Si les problématiques sont souvent similaires (manque d’accessibilité, problème de sécurité, etc.), les solutions à apporter vont être différentes selon la typologie des lieux et les usages. Sans oublier bien sûr les choix politiques, le budget…

Les deux femmes développent également d’autres outils de concertation : raconte-nous ta commune, ateliers en non-mixité, diagnostic in situ, rapport sur la densité perçue, etc.

Selon elles, pour développer la marchabilité (c’est-à-dire la capacité d’un milieu à faciliter les déplacements utilitaires à pied ou à vélo), deux éléments doivent être travaillés : la continuité et la sécurisation des parcours. « Si une mère de famille avec ses enfants doit effectuer 2 km pour rejoindre un arrêt de bus scolaire ou si un arrêt de bus dépose ses usagers dans une zone d’insécurité, les gens ne l’utiliseront pas » constatent-elles. « Pourtant la marche est un enjeu de bien-être, de santé et de sociabilisation, notamment pour les personnes âgées ou en situation de handicap, mais trop souvent elles ne sentent pas en sécurité. Elles sont empêchées de se déplacer physiquement et en même temps reçoivent l’injonction de marcher ». D’où l’importance de réfléchir à la sécurité et au confort du parcours : un banc, un trottoir plus large, de la végétation pour apporter de l’ombre, etc.

Pour clôturer leur intervention, Sarah et Agnès ont répondu à la question « être une femme, frein ou atout dans votre parcours professionnel ? ».

« Le fait d’être des femmes ont influé notre leadership et notre façon d’entreprendre », estiment-elles. « Loin d’avoir une approche va-t’en-guerre, nous nous sommes données du temps et nous avons été prudentes pour consolider notre entreprise. Mais être une femme dirigeante, c’est aussi une fierté qui donne de la force et galvanise », soulignent-elles. « Par ailleurs, lorsque l’on est à son compte, on choisit davantage les personnes avec qui l’on travaille ».

Redonner de la vie à la place des Martyrs de la Résistance

La Formidable Armada a été sollicitée par la SPL Part Dieu pour concevoir un dispositif d’urbanisme temporaire place des Martyrs de la Résistance, à Lyon 3, afin de tester de nouveaux usages en préfiguration de la future place dont le dessin définitif est en cours de conception. Les deux femmes ont travaillé avec les paysagistes de l’agence The Good Factory. Elles se sont appuyées sur une démarche de concertation qui avait identifié un manque d’assises, un besoin d’espaces ludiques pour les enfants (il y a une école qui donne sur cette place) et un souhait de végétalisation. Plusieurs opérations ont donc été menées : suppression des places de parking, création d’une piste cyclable pour enfant, dessin de parcours ludiques au sol, remplacement du bitume par des ilots plantés, installation de grandes tables de pique-nique en bois (avec les Compagnons du devoir), etc. Résultat : la place a progressivement retrouvé des usages récréatifs et familiaux (cf. ce reportage vidéo).


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