Synthèse de l’apéro avec Lucie Mattera
Jeudi 25 avril, pour initier son trimestre de rencontres autour de l’Europe, Femmes en Mouvement avait convié Lucie Mattera, Secrétaire Générale de ChargeUp Europe. Une rencontre à distance où notre invitée a évoqué, avec franchise et acuité, de nombreux sujets : les institutions européennes, les différences culturelles entre les Américains et les Français, la place des femmes dans le secteur de la mobilité et des transports, etc.
Lucie Mattera est d’abord revenue sur son (riche) parcours professionnel, mélange d’expériences dans les affaires publiques et au sein des institutions européennes.
Diplômée de Sciences-Po Paris (2004), elle a d’abord travaillé au Parlement européen comme assistante parlementaire, puis au cabinet du Ministère français de l'Economie et des Finances (sous la présidence de François Hollande) et de la Commission européenne, au cabinet du Président du Conseil Européen et à la mission des États-Unis auprès de l'UE. « De façon intercalée à ces expériences, j’ai travaillé pour trois fédérations d’entreprises (ou lobbys) à Bruxelles, indique Lucie. La première dans les dispositifs d’appareils médicaux, la seconde pour les auteurs et compositeurs de musique et la troisième, mon poste actuel, dans la recharge pour véhicules électriques ».
Au sein de l’Union européenne
Lucie Mattera a rappelé dans les grandes lignes le fonctionnement des institutions européennes. « Chacune a sa propre identité, son propre fonctionnement, ses forces et faiblesses » analyse-t-elle. Le Parlement européen, est comparable à un Parlement national, avec des députés et des lois votées (« et des débats très théâtraux ! »), la Commission, avec 30 000 membres, « bras exécutif » du Conseil, avec un fonctionnement bureaucratique et très procédural, donc lourd et lent à faire bouger et enfin, le Conseil, qui réunit les 27 gouvernements nationaux, une instance très politique, qui donne les grandes orientations (« le vrai lieu de pouvoir »).
Au Parlement européen, elle a eu l’occasion de travailler sur l’adhésion de la Roumanie à l’UE (« un dossier compliqué et sensible ») et à la Commission, elle travaillait aux côtés du Commissaire en charge des affaires économiques, financières et fiscales. « Notre mission d’équilibriste était de ramener les pays vers une discipline budgétaire, sans qu’ils rejettent la responsabilité de cette « austérité » sur l’Europe. Un dialogue exigeant et compliqué » reconnaît-elle. « Une réforme sur ces fameuses règles budgétaires, plutôt restrictives, a également été initiée mais n’a pu aller jusqu’au bout, malgré le diagnostic posé » reconnaît-elle avec franchise.
Expériences américaines
Ensuite, Lucie a évoqué ses expériences américaines. Elle a travaillé pour le département du Commerce (sous Obama) puis pour le département d’Etat (sous Trump). « Les Américains jugent le fonctionnement européen complexe et cela les rend parfois perplexes. Ils ont une approche plus pragmatique des problèmes alors qu’en Europe, cela passe par tout un processus réglementaire. Mais cela ne les empêche pas de chercher à influencer les décisions lorsqu’ils le peuvent ! » se souvient-elle. Elle a notamment travaillé sur la protection des données personnelles, au moment de l’arrivée de Facebook vers 2011/2012. « L’approche américaine et européenne concernant la « privacy » est très différente pour des raisons historiques et culturelles : les Américains la considèrent comme un droit du consommateur comme un autre, alors qu’en Europe, c’est un droit fondamental. Il n’était donc pas évident de rapprocher les positions sur ce sujet » se souvient-elle. Les Etats-Unis ont décidé de séparer la voie judiciaire, qui à la suite du 11 septembre, avait été largement durcie, de la voie commerciale pour négocier avec l’Europe.
« De façon générale, aux Etats-Unis, le cadre législatif est plutôt faible mais la façon de l’appliquer et de le faire respecter peut être très brutal, avec des amendes records, alors qu’en Europe, le cadre réglementaire est très lourd, mais les moyens de contrôle et les sanctions sont généralement faibles » résume Lucie. Aux Etats-Unis, les amendes ont vocation à faire jurisprudence et étant donné leur montant, entraînent un changement de comportements des acteurs du marché, sans avoir besoin de modifier le cadre réglementaire.
Autres grandes différences entre Américains et Français, la façon d’appréhender un problème et le rapport à l’erreur ou à l’échec. « Face à un problème, les Français vont en faire une analyse très complète et construire des cathédrales conceptuelles d’une grande élégance, mais cela prend du temps, tandis que les Américains partent directement du résultat qu’ils veulent obtenir, appliquent une solution rapidement, mais sans analyser en profondeur le problème. Les deux approches ont leurs avantages ! » estime Lucie. Les capacités d’analyse des Français sont appréciées, notamment dans les instances internationales, tandis que l’efficacité et la rapidité des Américains sont souvent soulignées.
Dédramatiser l’échec
« Quant au rapport décomplexé des Américains à l’erreur et à l’échec, j’ai trouvé cela très libérateur, analyse Lucie. J’ai d’ailleurs essayé d’amener cela dans mes équipes. Dédramatiser l’échec, c’est une façon d’autoriser les personnes à innover, à prendre des risques ». Elle-même n’hésite pas à être transparente sur ses erreurs afin de favoriser un climat de confiance et de dialogue. Interrogée sur sa façon de manager, Lucie se dit convaincue que « personne ne naît bon manager ». « Tout manager commence par faire des erreurs : on apprend on se cognant aux murs et en rectifiant sa trajectoire ». Selon elle, « quand on est en position de manager, tous nos défauts sont magnifiés ». D’où l’importance de bien les connaître pour essayer de les contenir. Autre conseil de Lucie : « veiller à avoir des canaux de communication suffisamment ouverts pour que vos collaborateurs puissent vous faire part de leurs problèmes et ainsi chercher des solutions ensemble ». Lucie se dit également favorable aux évaluations à 360 qui permettent de recueillir du feedback.
Il y a 18 mois, Lucie est devenue secrétaire générale de ChargeUp Europe. « Je souhaite consacrer le reste de ma carrière à des structures qui œuvrent de façon utile pour le climat. Le fait d’être mère de 3 enfants n’est pas non plus étranger à ce choix pour la transition verte » indique-t-elle.
ChargeUp est une fédération d’entreprises, basée à Bruxelles, créée il y a 4 ans par 3 membres et qui en compte désormais 33. ChargeUp Europe représente l’ensemble de la chaîne de valeur de la recharge (les opérateurs, les fabricants, les fournisseurs de solutions logicielles, etc.). « Nous menons un travail de lobbying vis-à-vis à des institutions européennes. Cela passe par beaucoup de pédagogie car la recharge est un secteur peu connu et pas toujours très bien compris. Nous essayons également de prendre des initiatives pour structurer cette industrie encore jeune ». Lucie a recruté une équipe 100% féminine pour travailler à ses côtés. « Mon principe numéro 1 est de faire avant de dire et cela compense la composition 100% masculine de nos membres ! ».
A la question de la place des femmes dans cette industrie, Lucie estime que les besoins de recrutement sont tels que les acteurs ne peuvent pas se permettre une discrimination de genre à l’embauche. « De façon générale, l’industrie de la recharge a une sensibilité plutôt moins conservatrice et plus progressiste que d’autres branches du transport » analyse-t-elle.
En revanche, elle se souvient encore d’un haut responsable européen, qui lors d’une réunion, s’est levé et est parti au moment où l’une des 5 femmes présentes, a enfin pu prendre la parole. « Face à ce comportement cavalier, nous avons choisi de sortir par le haut et d’en faire quelque chose de positif, raconte Lucie. Nous avons ainsi lancé la campagne Women in e-mobility. L’idée est de mettre en avant les nombreux profils et talents féminins. « C’est une bonne façon de faire connaître nos métiers, notre secteur et de montrer que les femmes savent aussi coder ou fabriquer des bornes ! ».
Le sentiment de légitimité
Enfin, Lucie a évoqué la façon dont les femmes avaient tendance à internaliser le sentiment du manque de légitimité, en évoquant sa propre expérience. « J’ai eu le déclic lors d’un panel à Berlin. J’étais la seule femme au milieu de trois hommes quinquagénaires. Je m’étais ultra-préparée, je connaissais mes fiches par cœur. Et là, je me suis rendu compte que les hommes étaient arrivés sans rien préparer, les mains dans les poches, mais très sûrs d’eux. Je rêve d’arriver, moi aussi, un jour, à un panel, sans rien avoir préparé ! »*
Par ailleurs, elle a réalisé l’importance de participer à des tables rondes sur la place des femmes, lorsqu’une DRH est venue lui dire un jour à Oslo que c’était grâce à l’une de ses interventions qu’elle avait eu le courage d’accepter un poste de CEO. Les petits ruisseaux font les grandes rivières ! Chez Femmes en Mouvement, nous en sommes convaincues 😊
*Marie-Xavière Wauquiez a rappelé l’existence du site expertes.fr et l’importance de s’y inscrire pour être invitée à prendre la parole sur ses domaines de compétence.