Synthèse de l’apéro avec Alix Lecadre
Mardi 14 mai, dans les locaux d’iQo, Femmes en Mouvement a reçu Alix Lecadre, directrice ferroviaire France de Transdev, pour évoquer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Cette rencontre s’inscrit dans notre thématique trimestrielle autour des enjeux européens.
Pour introduire son intervention, Alix Lecadre est revenue sur les grandes lignes de son parcours professionnel. Diplômée de Sciences Po Bordeaux et du Master TURP (Transports Urbains et Régionaux de Personnes), elle commence sa carrière en 2006 à la SNCF où elle restera 10 ans, « une très bonne école ». Elle occupe plusieurs postes opérationnels, puis rejoint Régions de France en 2010 comme conseillère infrastructures et transports. Elle structure un travail collectif de montée en compétence des régions sur l’organisation des transports régionaux, avant d'être nommée directrice générale déléguée Mobilités au Conseil régional Pays de la Loire. Après avoir été responsable relations institutionnelles et concertation à la direction territoriale SNCF Réseau Bretagne/ Pays de la Loire, elle réussit le concours de l’INSP (ex-ENA), par le biais du 3ème concours. S’ensuit « une période riche en rencontres et très formatrice en termes de management » se souvient-elle. En 2020, elle est nommée conseillère « infrastructures et mobilités » au cabinet de Jacqueline Gourault, ministre de de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Elle rejoint en 2022 le groupe Transdev où elle renoue avec le ferroviaire.
Interrogée sur sa façon d’obtenir des consensus entre les multiples parties prenantes du monde des mobilités ferroviaires, Alix Lecadre a souligné l’importance d’écouter l’ensemble des acteurs pour bien comprendre les points de désaccords et ensuite d’être capable de faire évoluer les positions de chacun afin de construire ensemble une solution. « L’objectif lorsque je travaillais pour les Régions était de parvenir à des positions communes, malgré des expertises techniques inégales et des étiquettes politiques différentes au sein des 20 exécutifs régionaux » explique-t-elle.
L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire en France désigne la politique qui permet à différentes sociétés de commercialiser leurs services de transport ferroviaire pour les voyageurs et pour le fret, en mettant progressivement fin au monopole de la SNCF. Cette ouverture est conduite dans le cadre de la réglementation communautaire de l'Union européenne, en particulier plusieurs séries de directives et de règlements regroupés en quatre paquets ferroviaires. Le quatrième paquet, adopté en décembre 2016, rend obligatoire l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, à partir de décembre 2023 pour les services conventionnés (TER et TET) et à partir du 14 décembre 2020 pour les services non conventionnés (TGV).
La transposition des textes européens et la définition des modalités précises de l'ouverture à la concurrence sont du ressort de l’État. L’Autorité de régulation des transports (ART) veille au bon fonctionnement, notamment économique, du secteur et à l'équité entre les opérateurs. Les entreprises ferroviaires circulant sur le réseau français peuvent être publiques ou privées, françaises ou étrangères.
« Quand on est une entreprise concurrente à la SNCF, cela implique de beaucoup discuter avec l’ensemble de l’écosystème. L’enjeu est que les conditions d’ouverture soient favorables à l’ensemble des entreprises entrantes sur ce marché » explique Alix Lecadre. Transdev s’est structurée sur le sujet ferroviaire il y a déjà 15 ans pour mener les discussions avec l’Etat, la branche professionnelle, les régions, etc. « Cela n’est pas simple car la SNCF conserve une certaine forme de monopole sur l’expertise ferroviaire. Mais structurer une parole alternative, une vision différente, est très important pour répondre aux appels d’offre des régions ».
C’est ainsi que Transdev a remporté l’appel d’offres de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour exploiter la ligne Marseille-Toulon-Nice, à partir de juin 2025.
« Le dialogue au sein de cet écosystème est très important car entre ce qui est écrit dans la loi, les décrets d’application et la mise en œuvre, il y a parfois de vrais décalages. D’où la nécessité d’alimenter cette réflexion collective afin que l’ouverture à la concurrence ne soit pas juste une procédure juridique pour attribuer un contrat mais qu’elle permette d’améliorer le service ferroviaire ».
« Je n’ai jamais autant parler de qualité du service public ferroviaire, insiste-t-elle. Comment le faire fonctionner différemment pour l’améliorer ? Voilà ce que nous avons sans cesse en tête ».
« Le débat a souvent été caricaturé, regrette-t-elle. L’ouverture à la concurrence, ce n’est pas détruire le service public. Bien au contraire ! C’est une façon de réinterroger les pratiques pour faire mieux. Mon ambition est d’avoir une équipe qui est certes capable de faire rouler des trains mais aussi capable de se poser des questions, de faire autrement pour améliorer les choses ».
« Au niveau européen, nous avons également des discussions sur la façon de mettre en œuvre le règlement OSP (obligation de service public) dans le secteur des mobilités » poursuit-elle. Depuis décembre 2023, pour les transporteurs ferroviaires conventionnés, les régions ou l'État doivent organiser un appel d'offres à la fin des différents contrats d'exploitation. Comment faire en sorte de ne pas être dans quelque chose de dogmatique, dans une simple compétition entre opérateurs historiques, mais au contraire, comment structurer le marché afin de le développer et de permettre d’autres offres alternatives. « L’ambition est de créer un gâteau plus gros pour que les différents opérateurs en prennent une part» résume-t-elle.
A la question de savoir si cette ouverture à la concurrence devrait permettre la réouverture d’anciennes lignes, Alix Lecadre rappelle que cela relève avant tout d’une décision politique des conseils régionaux. Selon elle, « il s’agit davantage d’augmenter le trafic sur les lignes actuelles que de rouvrir d’anciennes lignes, même si c’est bien sûr toujours possible, comme cela serale cas pour la ligne Nancy-Contrexevillepar exemple ». « Cette ouverture est surtout l’occasion de sortir d’un modèle uniforme et de repenser complètement la façon de faire fonctionner les lignes ». Elle a également rappelé le mauvais état dans lequel se trouve le réseau ferroviaire français : « la question est donc plutôt comment ne pas fermer des lignes plutôt que d’en rouvrir ».
Enfin, elle a reconnu les difficultés pour un nouvel opérateur d’entrer sur le marché français. « On bouscule un système qui fonctionne depuis des décennies : les obstacles sont donc nombreux, à tous les niveaux. Et la question de la rentabilité ne peut être perçue qu’à long terme ».
Ensuite, Alix Lecadre a évoqué son expérience managériale. « Quand on prend des postes à responsabilités, la posture de manager est importante. Je suis convaincue qu’être en position d’autorité par rapport à une équipe peut se faire sans devenir péremptoire. J’ai appris à assumer mon rôle de manager, notamment grâce aux stages effectués à l’ENA. Je me souviens d’un manager qui voyait ses équipes davantage comme un collectif autour de lui, plutôt que comme une organisation verticale, avec des silos qui ne rapportaient qu’à lui. Cette façon d’imaginer un management plus horizontal, je la reproduis chez Transdev ».
La direction ferroviaire au sein de Transdev est une petite équipe, qui fonctionne en mode start-up, composée d’une trentaine de personnes, de 24 ans à 62 ans, venant d’horizons divers. « Croiser nos regards, nos expériences, c’est cela qui fait notre force et nous permet de tester de nouvelles idées. Nous avons une façon de gérer nos projets de façon très horizontale » explique-t-elle.
Pour Transdev, le ferroviaire en France c’est nouveau (même si Transdev opère des trains régionaux dans plusieurs pays européens, dont l’Allemagne depuis 1994). « Transdev est historiquement un opérateur de transports urbains et interurbains par autocars ; une forme d’acculturation est donc nécessaire pour intégrer ces nouvelles problématiques et faire évoluer la culture maison. Cela demande beaucoup de pédagogie ».
Les temporalités entre le bus et le ferroviaire sont très différentes : 3 ans et demi avant l’entrée en exploitation de la ligne Marseille/Nice, alors qu’il faut 6 mois pour un nouveau réseau urbain. Les étapes sont nombreuses : construire un atelier, acheter le matériel roulant, commander les sillons (horaires) auprès de SNCF Réseau, construire des systèmes informatiques pour se connecter à ceux de la SNCF, former les conducteurs, etc.
Les contraintes sont également très différentes. Le ferroviaire a des instances de contrôle très prégnantes, avec beaucoup de réglementation et de reporting.
Enfin, sur la question de la place des femmes dans le secteur, Alix Lecadre constate (et regrette) que les femmes aient souvent beaucoup plus de mal à négocier leurs salaires d’embauche et à demander des augmentations, alors que « les hommes de mon équipe le font quasiment systématiquement chaque année ! ». Transdev a une enveloppe de rattrapage salarial au titre de l’égalité femmes/hommes et travaille à améliorer ses politiques RH et de recrutement. « Dans le ferroviaire, les talents sont rares et chers. Donc nous devons être vigilants sur ces questions-là ». Elle a également évoqué les programmes de mentorat proposés par Transdev pour les femmes et à destination des personnes qui deviennent manager, « très utiles et très appréciables ».
Alix Lecadre s’investit également dans un programme de mentorat pour les personnes qui veulent passer le 3ème concours de l’ENA. « C’est une vraie source d’enrichissement et l’opportunité de prendre du recul par rapport à mes pratiques managériales ».