Synthèse de l’apéro avec Annabelle Ferry et Anne-Marie Choho

Mardi 19 mars 2024, pour clore son trimestre de rencontres autour des métiers de l’ingénierie, Femmes en Mouvement avait invité, chez iQo à Paris, Anne-Marie Choho, Directrice Générale du groupe Setec et Annabelle Ferry, Directrice Territoires et ville chez Cerema. Une forte participation pour une rencontre placée sous le signe du partage d’expériences et de la transition écologique.

Les deux intervenantes ont débuté la rencontre en retraçant leur parcours professionnel, avant d’aborder la façon dont la transition écologique était intégrée à leur organisation. Elles ont également partagé quelques réflexions plus personnelles sur le fait d’être une femme dans le milieu de l’ingénierie.

Annabelle Ferry a une formation d’architecte urbaniste, complétée par une école de commerce, afin d’acquérir « une vision transversale de l’aménagement du territoire ». Elle travaille d’abord au cabinet du ministre de l’environnement et du développement durable suite au Grenelle de l’environnement, puis elle rejoint le bureaux d’étude AREP (filiale du groupe SNCF) comme responsable du pôle urbanisme et aménagement urbain. En 2017, elle intègre le Commissariat Général à l’Égalité des Territoires (CGET) du ministère de la Cohésion des territoires, en tant qu’experte nationale sur les infrastructures de transports et les politiques de mobilité. Elle a en particulier contribué et suivi la loi d’orientation des mobilités. Cheffe de cabinet de la Directrice du développement des capacités des territoires en parallèle, elle a participé à la création de l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires) en 2020 et à la coordination des travaux tels que les programmes nationaux Action Cœur de Ville, France Services, Territoires d’Industrie, Ruralité et montagne. Puis, en 2022, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) lui propose un poste. Le Cerema est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du ministre de la Transition écologique et solidaire, et du ministre de la Cohésion des territoires. Il est financé à la fois par l’Etat et les collectivités locales. Son objet : l’adaptation des territoires au changement climatique. Le Cerema travaille sur les risques de submersion marine, le recul du trait de côte, le recyclage foncier, la naturalisation des villes, les problématiques de mobilité, etc. Le Cerema emploie 2500 personnes, dont 1800 ingénieurs. En tant que Directrice Territoires et ville, Annabelle Ferry pilote les sujets techniques du Cerema en matière d’aménagement, de mobilités ou encore de bâtiments durables. Pour elle, il ne s’agit pas tant de maîtriser tous ces sujets que d’en comprendre les enjeux. A la question de sa légitimité au milieu de tous ces ingénieurs, Annabelle répond qu’elle a cherché à dépasser les corporatismes, en apportant sa plus-value et ses compétences acquises durant sa formation et sur le terrain. « Arriver avec un autre regard, une posture et des questions un peu différentes permet à chacun de dézoomer et de questionner ses certitudes » estime-t-elle.

Anne-Marie Choho, ingénieure de formation (Centrale Paris) et passionnée par la technique, poursuit par un doctorat en physique-chimie sur les déchets nucléaires. Elle partira ensuite aux Etats-Unis où elle restera 10 ans et s’occupera d’ingénierie de traitement des déchets nucléaires. De fil en aiguille, elle sera amenée à diriger des projets de plus en plus importants. A son retour en France, alors que l’industrie nucléaire est en plein boom, elle intègre Areva pour travailler sur l’ingénierie des réacteurs nucléaires. Ceci n’étant pas sa spécialité, elle ne se sent pas tout de suite légitime sur ce nouveau sujet technique. « Me rendre utile, apporter mon expérience en gestion de gros projets à l’international, plutôt que de chercher à faire le travail des autres, c’est cela qui m’a rendu légitime » estime-t-elle. Elle sera amenée aussi bien à gérer des projets en très forte croissance qu’à mener des plans d’économies (après l’accident de Fukushima en 2011, la filière se réduit). Ces années-là, sur les conseils de son supérieur, « un homme très sage », elle bénéficiera d’un coaching afin de trouver son leadership, jugé trop direct. « Le département ingénierie que je dirigeais était souvent sur le banc des accusés en cas de problème ou de retard, et j’avais tendance à réagir de façon défensive et cassante. J’ai découvert pendant mon coaching que je me comportais comme un homme dans un corps de femme, analyse-t-elle. J’ai fait un travail avec ce coach pour trouver des façons d’être à la fois moi-même et comme on l’attendait ». Et en vieillissant, avec l’expérience, elle estime que l’on devient plus philosophe, avec « des émotions moins violentes », ce qui aide à manager.

Après 28 ans dans l’industrie nucléaire, Anne-Marie Choho intègre ensuite le groupe d’ingénierie Setec en 2016, avant d’en devenir la Directrice Générale en 2018. « L’ingénierie est le fil rouge de toute ma carrière et je me suis rendu compte qu’elle a beaucoup de points communs quel que soit le secteur d’activité ». Deuxième enseignement : « c’est finalement l’humain qui façonne tout ». Les solutions techniques sont inventées par des hommes et des femmes et elles dépendent de la culture de chacune d’entre elles. « Durant mon parcours, j’ai beaucoup travaillé à l’international, avec des Américains, des Allemands, des Chinois, des Finlandais…Pour un même problème, il n’y pas une seule bonne solution. C’est cette diversité de solutions qui me passionnent » explique-t-elle.

« Mon rôle est de faire travailler tous ces gens ensemble et que, plutôt que de se disputer, ils parviennent à trouver une solution, en sorte qu’1 + 1 = 3 » résume-t-elle en souriant. « Ce n’est pas facile, cela ne marche pas à tous les coups, mais c’est passionnant ! ».

Dans un second temps, les intervenantes ont abordé la question de la transition écologique au sein de leurs organisations. « La transition écologique et l’adaptation des territoires, infrastructures et bâtiments au changement climatique est au cœur même des activités du Cerema » indique Annabelle Ferry. Sa mission est de conseiller et d’orienter les politiques publiques nationales et locales dans cette transition, en proposant de nouvelles solutions. Nous sommes des défricheurs aussi bien sur la transformation des modes de transport, que sur la lutte contre l’érosion côtière ou la recherche de nouveaux matériaux plus aptes à résister à l’augmentation des températures. « On cherche à retrouver le bon sens dans la technique, à comprendre les contextes et les enjeux, etc. ».  Selon elle, le monde de l’ingénierie est passé de l’infrastructure qui se suffisait à elle-même, aux réflexions sur ses usages, pour arriver à comment intégrer l’environnement et surtout s’adapter aux bouleversements induits par l’évolution du climat et des activités humaines sur nos territoires.

Du côté de Setec, la transition écologique est également un axe très important. Le groupe n’est pas tributaire d’actionnaires mais est détenu par ses collaborateurs. « Bien sûr, nous nous devons d’être rentables mais ne pas avoir d’actionnaires nous permet aussi de ne pas avoir d’objectif de rentabilité à court terme » explique Anne-Marie Choho. Son ambition : proposer à ses clients des solutions vertueuses et respectueuses de l’environnement, et qui font sens techniquement. « Là encore, selon la culture, la formation académique, le genre, etc. la solution apportée ne sera pas la même, souligne Anne-Marie Choho. Mixer tous ces points de vue constitue une énorme richesse ». Setec a connu un tournant en 2017/2018 : avant ingénieurs et techniciens cherchaient à faire de grands ouvrages qui laisseraient une marque dans le paysage. « Depuis, il y a eu une véritable prise de conscience de tous nos collaborateurs, constate-t-elle. Leur priorité désormais est de sauver la planète ».

Setec a mis en place le programme ingénieurs & citoyens, qui cherche à répondre à des défis liés à la transition écologique (exemples : la construction bas carbone, la mobilité décarbonée, la résilience des territoires au changement climatique ou encore la préservation de la biodiversité). « Pour cela, nous faisons travailler tous les métiers ensemble, indique Anne-Marie Choho. Cela nécessite de réinventer nos approches, nos connaissances et nos technologies, car il n’y a pas de réponses toute faites ou de solution miracle. Parfois, ce sont des choses très simples, de bon sens, et parfois plus complexes, reposant sur l’innovation. Nos collaborateurs de France, de Colombie ou du Maroc ne vont pas proposer les mêmes solutions. C’est grâce à cette diversité de points de vue que l’on pourra s’en sortir ».

Enfin, la place des femmes dans les métiers de l’ingénierie a été abordée, avec quelques messages forts :

  • non, il n’est pas indispensable d’être ingénieure de formation pour travailler dans le secteur de la mobilité et des transports, dans l’ingénierie en général ou pour atteindre des postes à responsabilités (« au contraire, la pluridisciplinarité est une vraie richesse » martèle Annabelle Ferry),

  • la richesse du mentorat pour les jeunes femmes,

  • l’importance de sensibiliser les jeunes filles dès le collège sur la richesse et l’intérêt des métiers scientifiques et techniques

  • le fait que dans les entreprises publiques ou l’administration, la proportion de femmes est généralement significative (exemple : Areva, avec à sa tête Anne Lauvergeon).

Pour conclure, Anne-Marie Choho a évoqué la « révolution culturelle » qui avait été menée au sein de Setec pour faire prendre conscience des discriminations / petites phrases / sexisme ordinaire que pouvaient vivre les femmes du groupe et qui n’étaient pas toujours perçus comme telles par les hommes. En tant que directrice générale, elle a cherché à faire bouger les lignes. « En cinq ans, les choses ont bien progressé et différentes mesures ont été prises : mentorat, groupes de parole et de sensibilisation sur le sexisme, mesures RH au niveau du recrutement, des promotions, etc. ». Aujourd’hui, Setec compte 35% de femmes (mais seulement 10 à 15% quand on monte dans la hiérarchie). En revanche, nos deux invitées s’inquiètent toutes les deux du recul des jeunes filles dans les filières scientifiques et techniques à la suite à la réforme du bac.

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