Pour la première fois, Femmes en Mouvement vous a invité.es à la Fabrique du Métro pour découvrir le projet du Grand Paris Express !
La visite a été suivie d’un apéro en compagnie de Sandrine Gourlet, Directrice exécutive, chargée des Relations extérieures à la Société du Grand Paris et Présidente de l'UNIPEF.
La concertation au cœur de l’action
« Mes parents nous ont toujours dit à mes frères et moi : nous n’avons pas d’héritage à vous transmettre, si ce n’est des valeurs et du bonheur. Le reste, il faudra aller le chercher vous-même. Un beau principe d’action ! » attaque Sandrine Gourlet.
A bientôt 50 ans, mère d’un garçon de 20 ans, elle est revenue pour Femmes en Mouvement sur son parcours et ses engagements. « Je viens d’un milieu plutôt populaire. Mes parents, boursiers, ont été les premiers de leur famille à faire des études supérieures. Ils nous ont élevés, mes frères et moi, dans une égalité stricte et avec des valeurs fortes : le travail, bien se tenir, ne pas reculer devant l’obstacle… Rien ne m’était interdit, je n’avais aucune barrière mentale ».
Après un début de scolarité dans un collège de banlieue, elle découvre un autre monde à Janson de Sailly. « J’ai appris à naviguer entre ces deux mondes. Cela m’a servi plus tard dans ma vie professionnelle ». Elle hésite entre Sciences-Po et une école d’ingénieur. « Je ferai les deux, sur les conseils judicieux d’un professeur d’histoire. Deuxième leçon : savoir écouter l’avis des autres, surtout de ceux qui vous veulent du bien ».
Elle intègre l’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat à Vaulx-en-Velin, mais elle est déçue car ses camarades sont à Centrale ou aux Mines. « Après la dépression post partum classique des concours, je décide de réagir : musique, ski, sorties, école d’archi, en double cursus. Mais je suis virée au bout de 3 mois malgré mes efforts ». Elle décide de trouver autre chose pour bousculer son destin. Cela sera un DEA de sciences politiques à Sciences-Po Grenoble, en parallèle de ses études d’ingénieur. « L’occasion de découvrir des modes de raisonnement radicalement différents de ceux d’un ingénieur ».
A l’issue de ses études, elle écrit au directeur des routes au Ministère de l’Equipement en lui exprimant son envie de travailler avec lui. L’audace paie : elle sera engagée ! Pendant 7 ans, elle restera à ce Ministère, d’abord comme chargée de mission à la sous-direction des autoroutes et des tunnels. « On me charge du tunnel de Fréjus qui va faire faillite et de celui du Mont-Blanc où la catastrophe arrivera dans quelques mois. Ce fut brutal à 26 ans : procureur, brigade financière, familles de victimes ».
Mener deux débats publics d’envergure
Puis on lui confie la responsabilité des relations presse et la gestion de crise. « J’ai hésité mais là encore, j’ai décidé de faire confiance à ceux qui croyaient en moi. Et j’ai bien fait car ce fut 4 ans de bonheur ! ».
Son directeur lui propose ensuite de le suivre au cabinet du ministère des Transports mais elle a d’autres projets en tête : un bébé et le concours des Ponts. Elle aura les deux ! « Mais j’ai d’abord échoué au concours. J’étais la première recalée, j’ai ressenti une rage énorme » avoue-t-elle. La 2ème fois sera la bonne. Elle suit pendant un an un Master d’Economie publique et devient Ingénieure des Ponts, des Eaux et des Forêts. En sortant, en 2005, premier poste de manager comme chef de bureau à la direction des ports et voies navigables. « Je n’y connaissais rien. Mais je me suis entourée d’un réseau de vieux sages qui avaient été un peu mis de côté et ce fut mutuellement très enrichissant ».
Ensuite, Sandrine Gourlet rentre au STIF (Syndicat des Transports d’Ile-de-France) en 2008, premier pas en collectivité locale. Elle y apprendra un nouveau métier : les transports en commun et un nouveau territoire : l’Ile-de-France. Elle mènera de front deux débats publics d’envergure et pesant plusieurs milliards d’euros : celui du projet Arc Express (le futur métro du Grand Paris) ainsi que celui d’Eole, le prolongement du RER E à l’Ouest. « Durant ces périodes de réunions publiques, j’ai appris à m’assumer telle que j’étais. Oui, je suis une femme, oui, je porte des grosses bagues, oui, je ris en tribune ! Je me libère progressivement d’un carcan policé et d’une tenue stricte et cela se passe beaucoup mieux ».
Le rythme est très dense et les moyens humains trop justes. « J’ai failli partir. Mais j’ai réussi à obtenir plus de personnel. Parfois il faut savoir dire stop ! j’ai l’impression que notre côté bon élève, particulièrement chez les filles, nous empêche de le faire ».
En participant au Conseil d’Administration du STIF, elle découvre des sujets qui l’interpellent : la féminisation des noms de station, les arrêts de bus à la demande le soir pour les femmes, etc. « On n’en est pas encore aux espaces publics non genrés mais les élus bousculent et obligent les équipes techniques à se réinterroger ».
Elle prend ensuite le poste de directrice adjointe des projets d’investissement. Pendant un an, elle assure l’intérim du directeur qui a démissionné. Et ose enfin demander une réévaluation de son salaire qui n’a pas bougé depuis son arrivée. « Un jour il faudra apprendre aux filles à mieux revendiquer pour elles-mêmes et pas seulement pour les autres ! ».
A l’appel de Jean-Paul Huchon, elle devient en 2013 directrice des transports du Conseil régional d’Ile-de-France. Elle sera notamment une actrice clé de la négociation du Contrat de Plan Etat Région (CPER) 2015-2020. « Je sais que les projets sont mûrs, c’est la suite logique de l’histoire ». Elle remplace un directeur qui travaillait quasiment H24. « Je retrouve un rythme normal et mes équipes aussi. La preuve que c’est faisable ! ». La proximité avec les élus est plus forte, plus régulière et Sandrine Gourlet se confronte à certains comportements sexistes déplacés. « Le rapport avec le pouvoir n’est pas un mythe. Il faut savoir rester ferme, poser des limites et garder les yeux grands ouverts ».
Conjuguer carrière publique et engagement syndical
De 2016 à 2019, Sandrine Gourlet est en poste à la mairie de Paris en tant qu’adjointe à la directrice de la Voirie et des Déplacements. « J’en garde un souvenir compliqué, entre des élus très exigeants et des équipes fatiguées et devenues rétives au changement, sans oublier les gilets jaunes et une crue historique ». Un poste très opérationnel, avec quelques satisfactions comme l’urbanisme tactique qui permet de tester les usages avant de les pérenniser ou les espaces publics inclusifs et non genrés.
Puis Thierry Dallard, alors président de la Société Grand Paris, lui propose de venir travailler avec lui. « Le recrutement s’est fait en 48 heures, avec une fiche de poste succincte. Je savais que j’allais retrouver dans mon équipe des personnes avec lesquelles j’avais combattu lors des débats publics. Mais nous avions toujours fait la part des choses entre qui nous étions et les maisons que nous défendions ». Elle rejoint donc la Société du Grand Paris en mars 2019 en tant que directrice des Relations Extérieures, une structure en pleine expansion. « J’étais la 212ème recrue, aujourd’hui nous sommes 1 000 ». A la SGP, Sandrine Gourlet a pour mission de regrouper l’ensemble des relations avec les élus (locaux, nationaux et européens), tous les publics dont les riverains et les entreprises. «J‘ai également la charge de la mise en œuvre de la politique de la SGP en matière de soutien à l’insertion professionnelle des publics en difficulté ».
Parallèlement, Sandrine Gourlet est également présidente de l’UNIPEF (Union nationale des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts). « Le syndicalisme n’est pas tabou dans l’administration. Il s’agit d’un syndicalisme corporatiste et non politique. L’objectif est de favoriser le dialogue social avec les administrations où travaillent 75% des anciens élèves des Ponts ».
« J’avais pris le soin de rencontrer chaque membre du conseil d’administration avant de poser ma candidature. J’ai ainsi fait tomber une double barrière : j’avais intégré le corps des Ponts par concours interne et j’étais une femme, deux premières pour une présidente depuis les 300 ans de l’histoire de ce Corps ! »
Après cette présentation, Sandrine Gourlet a répondu aux questions du public, notamment autour de l’impact de la crise Covid sur les transports. « Il y a une transformation des usages durables (marche à pied, vélo) mais une fois que la pandémie sera passée, les gens retrouveront les transports en commun par nécessité. Par ailleurs, nous allons proposer un service de transport différent, en rocade, qui va avoir un effet d’entraînement qu’on a encore du mal à évaluer précisément, mais qui va être important ».
L’un des enjeux du Grand Paris est de travailler sur l’intermodalité et la transformation urbaine autour des 68 gares. « Il s’agit de penser à des espaces publics évolutifs, plus sécurisés, plus ouverts et moins consommateurs d’énergie. Le défi est que d’un côté, on construit un métro pour 100 ans, alors que de l’autre, on ne connait pas encore les comportements dans 5 ans en termes de mobilité ».
Enfin, répondant à une question sur la façon dont elle a géré sa carrière professionnelle, Sandrine Gourlet a rappelé la chance inouïe qu’elle avait eu de n’avoir jamais eu à chercher du travail, sauf pour son premier poste où elle a su provoquer la chance. Elle a également souligné l’importance qu’elle a toujours accordée à construire son réseau par affinités, jamais par calcul. « N’hésitez pas à passer du temps avec des personnes bienveillantes et intéressantes ! » a-t-elle conclu.