Pour son premier apéro de l’année 2022, Femmes en Mouvement a reçu Eva Kreienkamp, Présidente du CA de la Berliner Verkehrsbetriebe (BVG), l’opérateur des transports de Berlin, le mardi 18 janvier 2022 à 19h. Cette rencontre (virtuelle) a été l’occasion pour Eva Kreienkamp, 60 ans, de retracer son parcours et de partager ses convictions.
To start the new year, Femmes en Mouvement hosted Eva Kreienkamp, chairperson of of the board of Berliner Verkehrsbetriebe (BVG), the public transport operator in Berlin, on January 18th! This (virtual) meeting was an opportunity for Eva Kreienkamp, 60, to tell her story and share her convictions.
« J’ai appris très jeune à affronter l’inconnu et des situations de crise »
Son parcours
« Trois événements ont été fondateurs dans ma jeunesse, indique Eva Kreienkamp : le fait d’être scolarisée dans une école anglaise à Düsseldorf, ce qui m’a ouvert les yeux sur des cultures différentes et donné une première vision de l’Europe, puis la perte prématurée de ma mère et le fait d’être élevée par mon père, avec peu de modèles féminins, et enfin d’avoir découvert à l’adolescence que j’étais lesbienne, ce qui a également constitué une nouvelle façon de voir le monde ».
Diplômée en mathématiques de l'Université Heinrich Heine de Düsseldorf et de l'Université Ludwig Maximilian de Munich, « une matière, à l’époque, encore dominée par les hommes », Eva Kreienkamp débute sa carrière en tant que stagiaire au sein de la start-up Amadeus Data Process à Erding en 1989. « J’ai découvert comment utiliser les mathématiques dans la vie réelle et pas seulement dans la recherche ou l’enseignement ». A partir de 1991, elle intègre Allianz Versicherung où elle restera dix ans et occupera le poste de vice-présidente senior. « Grâce à ce groupe, j’ai découvert mon intérêt pour les affaires et développé une vision paneuropéenne ». Elle prend conscience de la richesse de la diversité au sein des équipes, source de créativité et d’innovation. Puis, elle décide de quitter le groupe et de partir vivre avec sa compagne à Berlin, « une ville en pleine transformation (le mur n’était tombé que depuis dix ans), incertaine, très ouverte ». « L’une de choses qui me caractérise est de me retrouver dans des situations qui ne sont pas définies » constate-t-elle en souriant. Elle travaille pour une compagnie des eaux pendant deux ans, avant de décider avec sa compagne de lancer leur propre cabinet de conseil en marketing et études de marché sur le genre et la diversité. Elle lance également un réseau de femmes d’affaires. « Berlin est une ville très ouverte aux femmes. Avant la chute du mur de Berlin, à l’Est, les femmes ont toujours joué un rôle important et exercé des responsabilités. Et à l’Ouest, les femmes sont également très présentes, dans la culture notamment ».
« Travailler avec ma partenaire pendant 5 ans a été très enrichissant. On apprend à tout négocier ! » glisse-t-elle en souriant. Mais la crise financière de 2008 fait exploser en vol leur cabinet de conseil. Eva Kreienkamp décide alors de se tourner vers un domaine plus stable et en 2009, elle intègre les secteur des transports. « J’ai d’abord rejoint une petite compagnie ferroviaire privée, Hamburg-Köln-Express GmbH, tout d’abord en tant que directrice financière, avant d'être nommée à sa tête en tant que dirigeante. Ce fut une expérience très formatrice. Nous étions en concurrence avec l’opérateur historique Deutsche Bahn et disposions de peu de moyens financiers ». À partir de 2015, elle rejoint la société des transports de Mayence, en tant que codirectrice générale et est responsable de la conduite des projets du personnel, de la numérisation et des investissements d'infrastructure.
Elle constate un intérêt croissant des femmes pour les métiers, notamment techniques, dans le secteur du transport. « Il n’y a pas encore suffisamment de diversité mais les choses progressent. Les femmes de la mobilité réseautent, comme vous le faites avec Femmes en Mouvement, et le vivier de recrutement est plus large » se réjouit-elle.
Puis en octobre 2020, retour à Berlin, en pleine crise Covid : Eva Kreienkamp est nommée présidente du directoire de la BVG (Berliner Verkehrsbetriebe), succédant à Sigrid Nikutta. BVG exploite les réseaux de métro (U-Bahn), tramway (Straßenbahn ou Tram) et bus de l’agglomération de Berlin, ainsi que quelques lignes de bac-piétons. « L’enjeu était comment continuer à faire tourner le groupe alors que la situation est très volatile et qu’aucun des paramètres auxquels nous étions habitués n’était plus en place ? Comment se redéfinir ? Une fois encore, je me retrouvais dans une situation inédite et incertaine ! ». Autre défi : dans le secteur des transports publics, les cycles sont très longs (5 à 10 ans). « Comment savoir si les investissements décidés aujourd’hui seront encore pertinents dans 3 ans ? ». Et, avec des salariés qui eux-mêmes ne savent pas trop quel sera leur avenir au sein de la compagnie.
« Affronter l’inconnu et des situations de crise, je connais cela depuis que je suis jeune, aussi bien dans ma vie personnelle que professionnelle. C’est d’ailleurs ce que j’ai mis en avant pour obtenir ce poste » indique Eva Kreienkamp.
Sa vision de la mobilité
Ses trois priorités pour la BVG sont les suivantes : 1) rendre la compagnie plus efficace/efficiente. « Il y a encore trop de process et de modes de décisions différents, il nous faut standardiser notre fonctionnement », 2) digitaliser aussi bien le parcours client que l’entreprise elle-même et 3) jouer un rôle non seulement d’opérateur mais également de chef d’orchestre du transport public à Berlin. « Nous devons convaincre plus de gens de voyager avec nous et augmenter les offres intermodales » analyse-t-elle. Cela passe par un changement d’esprit, où la qualité est considérée comme un atout et non un coût. Avoir de belles stations, un bon éclairage n’est pas de l’argent gaspillé ».
« Nous ne sommes pas seulement en concurrence avec les mobilités individuelles (voitures, vélos, etc.) mais aussi avec les plateformes telles qu’Uber qui sont très efficaces et faciles d’utilisation. Nous devons faire preuve de créativité et trouver des moyens, avec les entreprises privées, de rendre le réseau vraiment inclusif. Nous cherchons à proposer un transport homogène du premier au dernier kilomètre ». BVG a mis en place quelques expériences pilotes pour développer l’intermodalité, via leur billettique.
L’objectif est de partager autrement et mieux l’espace et les moyens de transport. « La priorité doit être donnée aux mobilités qui permettent de réduire notre empreinte carbone ». Bien consciente de la puissance de l’industrie automobile en Allemagne, source de richesse pour le pays et de l’attachement quasi-émotionnel des Allemands pour leur voiture, Eva Kreienkamp ne pense pas qu’il faille supprimer les voitures à Berlin, mais vise un meilleur partage de l’espace public.
La situation en Allemagne
Pour finir, elle a répondu à différentes questions des participants. Concernant la situation actuelle, elle constate que la population allemande est fatiguée et plus facilement agressive. « Les gens en ont marre et ont le sentiment que la politique n’est pas très cohérente. Chaque Etat fédéral prend ses propres décisions. Cela crée des situations délicates et on sent que cela peut exploser à tout moment. D’où l’importance de savoir rester calme dans ce genre de contexte » souligne-t-elle. Mais elle note également que les Berlinois, habitués à affronter des crises majeures, savent également faire preuve d’une grande discipline.
Interrogée sur Angela Merkel, elle a exprimé un avis mitigé. « Notre chancelière avait deux facettes. A l’international, Angela Merkel donnait une image de stabilité et de puissance, très positive pour l’Allemagne, même si elle a pris quelques mauvaises décisions au moment de la crise financière notamment, en mettant à l’écart certains pays, ou encore concernant la crise migratoire européenne. En revanche, concernant la politique intérieure, elle n’a pas fait suffisamment pour le développement du pays. Nous avons par exemple un grand retard en termes de digitalisation et beaucoup de défis importants restent à traiter : les problèmes géopolitiques, la nouvelle guerre froide, le changement climatique. Nous avons oublié comment gérer cette instabilité » estime-t-elle.
"I learned at a very young age to deal with the unknown and crisis situations".
Her background
Eva Kreienkamp said: "Three events were fundamental in my youth: going to an English school in Düsseldorf, which opened my eyes to different cultures and gave me a first vision of Europe; the premature loss of my mother and being raised by my father, with few female role models; and discovering as a teenager that I was a lesbian, which was also a new way of looking at the world".
Eva Kreienkamp graduated in mathematics from the Heinrich Heine University in Düsseldorf and the Ludwig Maximilian University in Munich, "a subject that was still dominated by men at the time", and began her career as an intern at the start-up company Amadeus Data Process in Erding in 1989. "I discovered how to use mathematics in real life, not just in research or teaching. In 1991, she joined Allianz Versicherung, where she stayed for ten years and held the position of Senior Vice President. "Through this group, I discovered my interest in business and developed a pan-European vision. She became aware of the richness of diversity within the teams, a source of creativity and innovation. She then decided to leave the group and go to live with her partner in Berlin, "a city undergoing a full transformation (the wall had only fallen ten years earlier), uncertain, very open". "One of the things that characterises me is to find myself in situations that are not defined," she says with a smile. She worked for a water company for two years, before deciding with her partner to start their own marketing consultancy on gender and diversity. She is also launching a network of businesswomen. "Berlin is a very open city for women. Before the fall of the Berlin Wall, women in the East always played an important role and held responsibilities. And in the West, women are also very present, especially in culture".
"Working with my partner for five years has been very rewarding. You learn to negotiate everything", she says with a smile. But the financial crisis of 2008 caused their consultancy firm to explode. Eva Kreienkamp then decided to look for a more stable field and in 2009 she joined the transport sector. "I joined a small private railway company, Hamburg-Köln-Express GmbH, first as a financial director and then as a manager. It was a very formative experience. We were in competition with the incumbent Deutsche Bahn and had little financial resources". From 2015, she joined the Mainz transport company as joint managing director and was responsible for leading personnel projects, digitalisation and infrastructure investments.
She sees a growing interest of women in professions, especially technical ones, in the transport sector. "There is still not enough diversity, but things are progressing. Women in mobility are networking, as you are doing with Femmes en Mouvement, and the recruitment pool is wider," she said.
Then in October 2020, back in Berlin, in the midst of the Covid crisis, Eva Kreienkamp was appointed chairwoman of the BVG (Berliner Verkehrsbetriebe) board, succeeding Sigrid Nikutta. BVG operates the underground (U-Bahn), tram (Straßenbahn or Tram) and bus networks in the Berlin metropolitan area, as well as a number of pedestrian ferry lines. "The challenge was how to keep the group going when the situation is very volatile and none of the parameters we were used to were in place anymore? How to redefine ourselves? Once again, I found myself in a new and uncertain situation. Another challenge: in the public transport sector, cycles are very long (5 to 10 years). "How do you know if the investments decided today will still be relevant in three years' time? And with employees who themselves are not sure what their future will be within the company".
"Facing the unknown and crisis situations is something I have known since I was young, both in my personal and professional life. That's what I put forward for this job," says Eva Kreienkamp.
Her vision of mobility
Her three priorities for the BVG are: 1) to make the company more effective/efficient. "There are still too many different processes and decision-making methods, we need to standardise our operations", 2) to digitalise both the customer journey and the company itself and 3) to play a role not only as operator but also as conductor of public transport in Berlin. "We have to convince more people to travel with us and increase the intermodal offers," she says. This requires a change of mindset, where quality is seen as an asset and not a cost. Having nice stations, good lighting is not a waste of money".
"We are not only competing with individual mobility (cars, bikes, etc.) but also with platforms like Uber which are very efficient and easy to use. We need to be creative and find ways, together with private companies, to make the network truly inclusive. We are looking to provide seamless transport from the first to the last mile. BVG has set up a number of pilot projects to develop intermodality via their ticketing system".
The aim is to share space and means of transport differently and better. "Priority must be given to mobility that reduces our carbon footprint". Well aware of the power of the car industry in Germany, a source of wealth for the country, and of the almost emotional attachment of Germans to their cars, Eva Kreienkamp does not think that cars should be abolished in Berlin, but aims for a better sharing of public space.
The situation in Germany
Finally, she answered various questions from the participants. Regarding the current situation, she noted that the German population is tired and more easily aggressive. "People are fed up and have the feeling that politics is not very coherent. Each federal state makes its own decisions. This creates delicate situations and you feel that things could explode at any moment. That's why it's important to remain calm in this kind of context," she says. But she also notes that Berliners, used to dealing with major crises, also know how to be very disciplined.
When asked about Angela Merkel, she expressed a mixed opinion: "Our chancellor had two sides. Internationally, Angela Merkel gave an image of stability and power, which was very positive for Germany, even if she made some bad decisions during the financial crisis, for example, by sidelining certain countries, or concerning the European migratory crisis. On the other hand, as far as domestic policy is concerned, she has not done enough for the development of the country. For example, we are lagging far behind in terms of digitalisation and many important challenges remain to be addressed: geopolitical problems, the new cold war, climate change. We have forgotten how to deal with this instability," she says.