Pour son dernier apéro de l'année, Femmes en Mouvement a reçu Marie Gautier-Melleray, Déléguée interministérielle à la Sécurité Routière et Anne Lavaud, Déléguée générale de l’association Prévention Routière, le jeudi 16 décembre 2021 à 19h.
Marie Gautier-Melleray en quelques mots
Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes au Conseil d'État, détachée auprès du président de l'Assemblée nationale depuis le 3 août 2018 en tant que conseillère chargée de la justice, des étrangers, de la sécurité, de la défense et des outre-mer, a été nommée, lors du Conseil des ministres du mercredi 24 juin 2020, déléguée interministérielle à la sécurité routière et déléguée à la sécurité routière à compter du 29 juin 2020. Professeure des universités, elle est docteure en droit public et agrégée de droit public
Anne Lavaud en quelques mots
Ancienne journaliste, Anne Lavaud a rejoint l'association Prévention Routière en octobre 2015, afin d'accompagner les changements structurels auxquels cet organisme doit faire face en raison des mutations de ses financements et de l'évolution de sa mission. Elle met ainsi au service d'une grande cause l'expertise acquise après une trentaine d'années passées dans différentes rédactions de titres de presse professionnelle : journaliste au magazine Points de vente (grande distribution) puis à CB News (média et marketing) où elle occupait le poste de rédaction en chef adjoint, avant de rejoindre le groupe ETAI pour prendre la rédaction de plusieurs titres. En juillet 2009, elle prend la rédaction en chef de l'hebdomadaire l'Argus de l'assurance et poursuit son parcours dans le groupe Infopro-Digital en occupant la direction des rédactions du pôle collectivité territoriale du Groupe Moniteur.
La sécurité routière est-elle un sujet genré ?
« La Sécurité Routière, qui fêtera en 2022 ses 50 ans, est une success-story puisque nous sommes passés de 18 000 morts en 1972 sur les routes à 3 500 morts en 2019* alors même que le trafic routier a été multiplié par 2,5 en 50 ans » a indiqué en ouverture Marie Gautier-Melleray. De son côté, Anne Lavaud a indiqué que la Prévention routière est une association qui a été créée en 1949, par les sociétés d’assurances et les professions de l’Union routière de France.
Les chiffres révèlent que la sécurité routière est un sujet genré. « La phrase « femmes au volant, mort au tournant » est particulièrement fausse car 84% des auteurs d’accidents mortels sont des hommes, rappelle Marie Gautier-Melleray. Et ce pourcentage est encore plus élevé outre-mer et pour les deux roues motorisées. Par ailleurs, 78% des victimes de la route sont des hommes ». Cet écart énorme entre hommes et femmes est stable depuis des années. « Et ce n’est pas parce que les femmes utilisent moins la voiture que les hommes, puisqu’ils font à peu près le même kilométrage par an » précise-t-elle.
Des études ont été menées pour essayer de comprendre cet écart. Elles indiquent que le rapport au risque et à la vitesse est très différent entre les hommes et les femmes, notamment chez les jeunes. « Par exemple, on relève très peu de jeunes femmes alcoolisées au volant ou en excès de vitesse ».
Stéréotypes de genre
Il existe une forme de « sur confiance » chez les hommes liée au stéréotype de genre. La réussite au permis de conduire est à ce titre très significative. Il existe un différentiel de réussite de près de 10 points en moins chez les femmes, par rapport aux hommes. Pour quelles raisons ? « Parce que les candidats ont complètement intériorisé les stéréotypes de genre » souligne Marie Gautier-Melleray. « Les jeunes hommes ont intégré un sentiment de maîtrise naturelle de la conduite, qui transparaît le jour de l’examen, alors que les femmes ont intégré l’idée qu’elles étaient incompétentes au volant et donc perdent plus facilement leurs moyens le jour de l’examen ». Ces stéréotypes de genre sont bien plus présents chez les candidates et candidats que chez les examinateurs et examinatrices, qui sont régulièrement formé·es et sensibilisé·es à ces sujets-là.
A noter que ce rapport moyen 80/20 dans les accidents mortels de la route entre hommes et femmes, quel que soit le mode de déplacement, est une constante universelle. « Le genre est une construction sociale, qui se reproduit partout dans le monde ».
Dès le plus jeune âge, on note des différences entre les filles et les garçons, ainsi 63% des enfants victimes de la route sont des garçons.
« Le rapport à la loi, à la règle est également différent entre les hommes et les femmes. On le constate sur l’ensemble des modes de déplacement : cycliste, piéton, trottinette, etc. » ajoute Anne Lavaud.
Ensuite, différentes thématiques, encore peu abordées, ont été débattues : la question de la mobilité des femmes qui, au fil des années, « disparaissent » des transports en commun et de l’espace public (rappelons qu’elles sont mobiles plus longtemps du fait de leur espérance de vie supérieure de 8 ans à celle des hommes) ou les actions de prévention en direction des seniors. Là encore, on remarque qu’à partir d’un certain âge, les femmes, bien plus que les hommes, décident spontanément d’arrêter de conduire par prudence.
Plusieurs questions ont tourné autour de la montée des incivilités et de l’agressivité sur la route. « On a noté en 2020, 21% d’augmentation des grands excès de vitesse, même quand le trafic a repris. Face aux contraintes fortes qui régnaient alors, on suppose que certaines personnes ont décidé de s’affranchir des règles dans leur façon de conduire. Heureusement, les comportements très agressifs que l’on peut constater n’ont pas à ce stade de conséquence sur la mortalité routière » a indiqué la déléguée interministérielle à la Sécurité Routière.
Montée du sentiment d’insécurité routière
« Contrairement à ce que l’on peut croire, les grandes villes sont beaucoup plus sûres que des départements peu habités, a tenu à rappeler Anne Lavaud. Ainsi à Paris, il y a environ 17/18 tué·es par million d’habitants alors qu’en Corrèze, dans l’Orne ou le Cantal, ce sont 100 tué·es par million d’habitants. Quand on habite à Paris, on a effectivement le sentiment d’avoir à affronter une jungle, et la peur est omniprésente, que l’on soit piéton, cycliste ou automobiliste. Mais de ce fait, on ralentit et donc on réduit les risques d’accidents mortels ». Par ailleurs, depuis la sortie des confinements, il y a beaucoup plus de déplacements en surface qu’avant le Covid, d’où cette impression de foisonnement, qui engendre du stress, sans oublier la montée des incivilités et des agressions verbales. « Les gens ont clairement déclaré vouloir utiliser davantage la marche à pied, le vélo ou leur voiture que les transports en commun » a indiqué Anne Lavaud.
Ensuite, a été abordé le changement de ton des campagnes de sécurité routière depuis quelques années. « Nous avons changé de mot d’ordre, indique Marie Gautier-Melleray. Nous sommes passés de « tous responsables » à « vivre ensemble ». Nous nous sommes rendu compte que des campagnes de prévention trop trash, violentes, n’avaient pas forcément une influence sur le comportement car les gens ne s’identifiaient pas. Nous avons donc opté pour des campagnes où nous mettons en avant les efforts collectifs qui ont sauvé des vies et l’inutilité de prendre des risques (campagne « merci à vous » ou « la vie »).
« La sécurité routière, ce n’est pas seulement être dans le punitif, mais aussi l’information et la sensibilisation » poursuit-elle. Pour Anne Lavaud, la règle la plus efficace de prévention routière est celle de l’échelle de vulnérabilité.
Toutes les deux ont insisté sur la nécessité de trouver un nouveau partage de la route, et sur les possibilités offertes par les nouvelles technologies pour renforcer la prévention.
« La route est le premier réseau social, fréquenté et accessible à tous, donc le plus précieux, conclut Anne Lavaud. Or, sur ce réseau social, on ne communique plus, on ne se regarde plus, on ne se connecte plus. Il faut retrouver tout cela. Je suis convaincue que l’intermodalité et la multimodalité sont l’avenir de la prévention, car ces mobilités rendent les gens plus conscients des risques ».
*On se réfère aux chiffres de l’année 2019 car 2020 a été une année trop particulière en raison du Covid pour être significative.