Synthèse de l’apéro parisien du 18 juin 2024
Pour clore son trimestre de rencontres autour de l’Europe, Femmes en Mouvement avait réuni mardi 18 juin 2024, chez iQo, Leila Chaibi, députée européenne et Karima Delli, ancienne députée européenne et présidente de la commission Transport et Tourisme au Parlement européen. Toutes les deux se connaissent depuis 20 ans et ont partagé leurs engagements et leurs combats au sein du Parlement européen.
Leila Chaibi est députée européenne depuis 2019 et vient d’être réélue en juin 2024, sur la liste La France Insoumise. Depuis ses années étudiantes, Leila est militante au sein de collectifs contre la précarité étudiante (Génération Précaire, collectif dénonçant la condition des stagiaires) et contre le mal-logement (elle est l’une des fondatrices de Jeudi noir). Plus tard, en parallèle de son poste de responsable de la vie associative à la mairie de Stains, comme attachée territoriale, elle poursuit ses engagements associatifs et s’engage dans la vie politique. « Nous menions des actions médiatiques coups de poing pour provoquer l’adhésion du public, mais je me suis rendu compte qu’obtenir des réponses politiques était compliqué. C’est pour cela que j’ai décidé de m’engager en politique ».
En 2019, elle est la deuxième femme sur la liste de Manon Aubry (LFI) et est élue députée européenne. Durant ce premier mandat, elle a été vice-présidente de la commission emploi et affaires sociales et membre de la commission transports.
« Lorsque je suis arrivée au Parlement, j’étais assez pessimiste sur les marges de manœuvre dont disposaient les députés car contrairement aux parlements des 27 Etats de l’Union, le Parlement européen ne peut pas être à l’initiative des législations européennes, seule la Commission a ce pouvoir. Mais j’ai eu la fierté et l’honneur d’obtenir à la fin de mon mandat une vraie avancée sociale, via une directive européenne adoptée en avril dernier et entérinant la présomption de salariat pour plus de 5 millions de livreurs, livreuses et chauffeurs, chauffeuses VTC employés abusivement sous le statut d’indépendants à travers l’Europe ». Pour rappel, les Etats membres ont deux ans pour transposer une directive européenne en loi nationale.
Pour obtenir cette victoire, alors qu’elle faisait partie d’un « petit » groupe (La Gauche), Leila a décrit la nécessité d’aller chercher des alliés, de construire des coalitions au-delà des clivages politiques gauche/droite, de jouer des rapports de force, pour lutter contre les lobbys très puissants au sein du Parlement européen. « Il a fallu fédérer les travailleurs indépendants, de nationalités et de langues différentes, et établir un langage et des revendications communes. Nous sommes parvenus à construire un réseau européen capable de parler de façon unitaire, afin de constituer un contre-pouvoir aussi puissant que les lobbys. A la fin, à l’issue d’un long processus législatif, nous sommes parvenus à quelque chose qui va changer concrètement la vie de millions de personnes ! ».
A une question d’une participante, Leila a confirmé qu’au Parlement européen, on retrouvait une vision stéréotypée femmes/hommes au sein des commissions. « La commission Affaires sociales était majoritairement féminine, alors que la commission Affaires constitutionnelles majoritairement masculine. Karima Delli en tant que présidente de la commission Transports était une « anomalie », dont on ne peut que se réjouir ».
De son côté, Karima Delli a été élue trois fois députée européenne, sur la liste Europe Ecologie et présidente de la commission Transport et Tourisme au Parlement européen entre 2017 et 2024. Elle ne s’est pas représentée en juin 2024.
« Rien ne me prédestinait à faire de la politique, explique Karima. Je viens du Nord, je suis une ch’ti ! Je suis née à Roubaix, 9ème d’une famille de 13 enfants, avec un père ouvrier dans le textile. Déterminée à vite travailler pour être autonome, j’ai fait un BTS action commerciale ». Mais un enseignant la pousse à continuer ses études et elle entre à la fac. « Je suis tombée amoureuse de l’histoire des idées politiques et j’ai réalisé que la politique pouvait changer la vie des gens ! C’est ce que j’ai décidé de faire ». Elle poursuit par un DEA à Sciences Po Lille et commence une thèse sur les logiques de pouvoir au sein du Sénat. C'est dans ce cadre qu'elle rencontre Marie-Christine Blandin, sénatrice verte du Nord, dont elle devient assistante parlementaire en 2004 et qu'elle considère comme un modèle. « Mon arrivée à Paris a été un choc pour moi, se souvient Karima, notamment les prix du logement ! ». C’est à cette période qu’elle rencontre Leila avec qui elle va monter et s’engager dans des collectifs (Génération Précaire, Jeudi Noir et Sauvons les riches pour défendre un salaire maximum en Europe). En 2009, Daniel Cohn-Bendit l’appelle pour être 4ème sur sa liste européenne en Ile de France. Une folle campagne s’ensuit, avec des rencontres fortes (Eva Joly, José Bové, Yannick Jadot). A 3 heures du matin, à la surprise de tous, ils découvrent que leur liste a fait plus 20% : elle est donc élue députée européenne ! « Mon premier réflexe a été d’appeler mes parents ! Mon père qui ne me croyait pas m’a dit d’arrêter de lui faire des blagues ! » se souvient-elle en souriant. Et là l’aventure commence. A 30 ans, elle est l’une des plus jeunes membres du Parlement européen. Elle devient membre titulaire de la commission des affaires sociales et régionales où elle s’engage pour le logement social et plaide pour la mise en place d'un fonds d'investissement européen pour le logement durable. Elle bataille également pour une extension de la Garantie Jeunesse.
En 2014, elle repart au combat, tête de liste d'Europe Ecologie-Les Verts dans la circonscription Nord-Ouest, où elle se retrouve face à Marine Le Pen. « Le Nord est un territoire difficile, où la question des transports est primordiale, avec des indicateurs de pollution dans le rouge ». Elle est réélue et intègre la commission du transport et du tourisme du Parlement européen, dont elle devient la présidente en janvier 2017. « Une commission très dure et très conservatrice ». Elle est l'auteure d'un rapport sur la mobilité urbaine durable, adopté en décembre 2015, dans lequel elle insiste sur les conséquences des moteurs diesel et essence sur la qualité de l'air. Parallèlement, lorsque le scandale du dieselgate éclate en septembre 2015, elle se bat pour la mise en place d'une commission d'enquête au Parlement européen sur les fraudes aux tests anti-pollution, « une bagarre incroyable ». En 2019, elle est réélue députée européenne sur la liste commune EÉLV-AEI-RPS menée par Yannick Jadot et présidente de la commission du transport et du tourisme au Parlement européen.
Ses trois conseils :
- N’ayez pas peur d’avoir de l’ambition ! « Les transports sont un secteur très masculin. Je voulais être la première fois femme à la tête de la Commission des Transports, j’ai assumé mon ambition et j’y suis arrivée ! ». Un poste dur car il faut se battre contre les constructeurs et des lobbys très puissants. « Mais je n’ai rien lâché, comme le prouve le surnom que l’on m’avait donné, « le dragon ». La relance du ferroviaire, la régulation climatique des transports et la réduction des pollutions automobiles ont fait partie de ses priorités. « Lorsque je suis arrivée, tout le monde adorait l’avion et la voiture, j’ai dû batailler pour relancer les trains de nuit, faire voter une vraie stratégie industrielle européenne du vélo, etc. »
- Maîtrisez vos dossiers : « Beaucoup travailler, être présente aux réunions, et cela finit par payer : plus vous vous affirmez en réunion, plus vous vous faites respecter ».
- Bien gérer sa vie privée / vie professionnelle. « J’ai regretté certains choix, reconnaît-elle. Certes, le travail, la mission est importante mais ne pas oublier de privilégier son petit bonheur, sa famille, ses amis. C’est primordial ! »
Karima souligne également la pression de l’apparence. « Quand vous avez des fonctions à responsabilités, cette pression est énorme. Il est important de se sentir bien soi-même et ne pas avoir peur d’affirmer sa féminité ». Elle évoque également les nombreuses remarques paternalistes et sexistes auxquelles elle a dû faire face et la nécessité de recadrer tout de suite ses interlocuteurs.
« Aujourd’hui, je suis contente de sortir du Parlement, mais en tant que députée honoraire, je pourrais continuer à suivre ce qu’il s’y fait. La transition dans les transports est sur de bons rails mais il y a encore beaucoup à faire ». Selon elle, « nous avons tout pour réussir en France cette transition et être leader dans les transports durables ». Mais elle se dit très inquiète avec les législatives qui arrivent : « le dérèglement climatique ne nous attend pas et j’espère que les 50 textes qui nous avons réussi à faire voter ne vont pas être détricotés par la nouvelle commission… »
Elle espère que Leila et d’autres députés européens parviendront à faire adopter un plan de relance pour les transports. « L’innovation, la transition énergétique, les transports publics, la question des territoires, des emplois industriels, etc. toutes ces questions ont besoin d’un volet financier à la hauteur des enjeux ». Enfin, elle estime que les politiques français doivent mobiliser les citoyens sur tous ces sujets et ne pas les laisser qu’à l’Europe.
Merci à toutes les deux pour la qualité de leurs interventions et aux participantes et participants particulièrement nombreux ce soir-là !